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François Mitterrand et l’Amérique latine

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François Mitterrand, le 21 octobre 1981 à Mexico. Jean-Claude Delmas/AFP

« Souvenirs, souvenirs… » En août 1981, le premier président socialiste de la Ve République fait une irruption fracassante sur la scène politique latino-américaine. La déclaration franco-mexicaine sur le conflit armé au Salvador suscite un tollé dans les capitales de la région. La France se mêle des affaires de l’arrière-cour des Etats-Unis, alors que l’Amérique centrale avait été jusqu’alors le cadet des soucis du Quai d’Orsay. La reconnaissance de la guérilla et de l’opposition salvadoriennes, comme un acteur politique avec lequel il faudrait chercher une solution négociée, est perçue comme une ingérence dangereuse, car elle pourrait devenir un précédent dans d’autres litiges.

Bientôt les commentateurs désignent le coupable : Régis Debray, ancien théoricien de la guérilla, emprisonné en Bolivie pour ses contacts avec Ernesto Che Guevara, avait été nommé conseiller à l’Elysée. Cependant, François Mitterrand étaye son propos lors d’un discours à Mexico, le 20 octobre 1981, où il salue « l’Amérique latine fraternelle et souveraine » : « Aux fils de la Révolution mexicaine, j’apporte le salut fraternel des fils de la Révolution française ». En 1985, le chef de l’Etat effectuera un deuxième voyage officiel au Brésil et en Colombie. Enfin, en 1987, il se rendra en Argentine.

Cette inflexion de la diplomatie française a été souvent comparée aux fameux voyages de Charles de Gaulle, en 1964. Le général avait déjà réservé sa première visite au Mexique, où il a promis à ses interlocuteurs de garder « la mano en la mano ». Ensuite, il a effectué une tournée triomphale de trois semaines en Amérique du Sud. Malgré l’écho du déplacement, il est resté sans lendemains, puisque aussi bien Georges Pompidou que Valéry Giscard d’Estaing sont restés concentrés sur l’Europe et le pré carré africain.

La revue Le genre humain, aux éditions du Seuil, vient de publier un volume consacré à François Mitterrand et l’Amérique latine, sous la direction d’Alain Rouquié (190 pages, 15,20 euros). Cet ouvrage est issu d’un colloque organisé par la Maison de l’Amérique latine à l’occasion du centenaire de la naissance de l’ancien président, en partenariat avec l’Institut François-Mitterrand. Les textes sont d’une valeur très inégale : un des auteurs confond même l’ancien chef de la diplomatie mexicaine, Jorge Castañeda, avec l’écrivain Carlos Castañeda, le gourou des psychotropes. Mais mitterrandolâtres et latinoaméricanophiles y trouveront matière à réflexion.

Tous s’accordent sur l’absence d’attirance préalable de François Mitterrand pour l’Amérique du Sud, en dépit d’un voyage au Brésil, juste après la Libération, dont la nature n’a pas été élucidé. Cet homme de lettres aurait découvert le continent du « réalisme magique » et des dictateurs grâce à la littérature latino-américaine, qui a fait une percée en Europe dans les années 1960 et 1970. Pablo Neruda et Gabriel Garcia Marquez l’ont marqué particulièrement.

Le Parti socialiste, dont il prend la tête à Epinay, en 1971, a aussi contribué à cette découverte. Partagé entre un atlantisme réformiste et un tiers-mondisme révolutionnaire, le PS trouve au Chili un banc d’essai de sa stratégie d’union de la gauche avec le PCF. Lorsque le nouveau dirigeant du PS se rend à Santiago pour s’entretenir avec le président Salvador Allende, des observateurs l’appellent « l’Allende français ». L’expérience s’achèvera tragiquement, mais elle noue des liens durables entre les victimes des dictatures sud-américaines et la gauche française.

La fascination de François Mitterrand pour Fidel Castro, lors de la visite d’une délégation du PS à Cuba, en 1974, semble plus « anachronique », comme l’écrit Judith Bonnin. La lune de miel entre les intellectuels français et le castrisme était déjà révolue, à la suite du soutien du Lider Maximo à l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du pacte de Varsovie, en 1968, et du procès stalinien intenté à La Havane contre le poète Heberto Padilla, en 1971. En tout cas, l’ex-président partageait tout à fait l’enthousiasme de Danielle Mitterrand vis-à-vis du dirigeant cubain.

La défense des droits de l’homme souffrait ainsi une entorse, au nom sans doute d’une fidélité messianique à la Révolution, capable de transiger sur les droits des citoyens. Le tiers-mondisme n’empêchera pas François Mitterrand de s’aligner sur la Grande-Bretagne lors de la guerre des Malouines, envahies par l’Argentine. Il avait tout à fait raison de privilégier un allié traditionnel à l’ignoble junte militaire qui sévissait à Buenos Aires. Mais cette position ne sera pas comprise par les Latino-Américains, dont le nationalisme fait bon ménage avec le césarisme.

L’inflexion diplomatique de François Mitterrand en direction de l’Amérique latine s’est-elle inscrite dans la durée ? La question mérite d’être posée. Alain Rouquié, optimiste, penche pour une certaine continuité. Cependant, les premiers pas d’Emmanuel Macron dans ce domaine peuvent être interprétés de manière contradictoire. D’une part, l’Elysée et le Quai d’Orsay se sont engagés clairement du côté de l’opposition démocratique au Venezuela. D’autre part, la France freine un accord de l’Union européenne avec le Mercosur (l’union douanière sud-américaine), véritable serpent de mer, pour ne pas froisser les éleveurs de l’Hexagone. Le balancier ne s’est toujours pas arrêté.


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